Ben Mazué sort ce vendredi 6 Novembre « Paradis »
Le rendez-vous était initialement pris à 18h un lundi de fin octobre. Puis déplacé quelques jours plus tard à 9h… Autant dire l’aurore pour une interview. Pour d’autres peut-être mais pas pour lui. À ce phoner matinal, Ben Mazué décroche avec disponibilité et sourire. Il rit même franchement lorsqu’on lui fait observer que le dernier à avoir accepté un entretien en cette tranche horaire peu prisée par les artistes est décédé peu après. « Alors c’est peut-être ma dernière interview ! Bon… et bien autant le savoir. »
Heureusement, ce ne sera pas le cas et c’est tant mieux car Ben Mazué revient ce 6 Novembre avec « Paradis », un quatrième et nouvel album magnifique pour lequel il était alors en résidence dans le Sud. Six concerts (tous complets depuis l’ouverture de la billetterie) à l’Européen étaient prévus entre le 3 novembre et le 13 décembre (entrecoupés d’une présence à Saint-Lô lors des Rendez-Vous Soniques). À l’heure de cet échange, leur maintien semblait très peu envisageable du fait des mesures liées au contexte sanitaire mais Ben Mazué n’avait pas battu en retraite devant le Covid.
À l’heure du pessimisme ambiant et d’une morosité encore plus anxiogène et contagieuse que le virus, le musicien refuse de ne pas rester optimiste et de ne plus croire en des jours meilleurs. « Il ne faut pas sombrer dans la posture de la sinistrose. Personnellement, je m’y refuse totalement. Le contexte est compliqué pour la culture en général et pour le spectacle vivant en particulier. Mais les gens ont besoin de ces moments. Que ces dates bougent ou pas, je les prépare et le moment venu, nous serons prêts car c’est sur scène que les chansons prennent leur vraie dimension, dans ce moment de révélation et de partage. »
Au printemps, de nombreuses sorties d’albums avaient été décalées (parfois même d’un an) dans l’attente de temps plus propices. D’autres s’y étaient malgré tout essayés. Le scénario se dessine à l’identique avec ce nouveau confinement. Vianney a réussi à anticiper de 24 heures la sortie de son nouvel opus afin de profiter des ultimes heures d’ouverture de certains points de vente. D’autres, comme Calogero, qui devait lui aussi sortir un album cette fin de semaine, Jane Birkin ou bien encore Benjamin Biolay (qui s’est fait beaucoup reprendre sur les réseaux sociaux en affirmant « mourir dignement » lors d’un post mentionnant le report de la réédition de son dernier opus) ont préféré attendre. Ben Mazué n’a rien changé. « Paradis » était annoncé pour le 6 novembre depuis plusieurs semaines et le calendrier n’a pas bougé. « Je n’ai jamais pensé décaler la sortie de mon album. Je suis même plutôt heureux de vous proposer du contenu culturel dans cette période si tragique pour notre secteur d’activité. On reste debout. On ne décale pas. On ne renonce pas. » Une publication sur Instagram et des mots qui ont largement été plébiscités.
Il est vrai qu’il est sacrément attendu cet album. Après le succès magistral de « La Femme idéale » (avec des titres inoubliables comme « La mer est calme », « 10 ans de nous », « Nous deux contre le reste du monde », pour ne citer – en toute subjectivité assumée – que ces trois-là) et de la « La Princesse et le Dictateur », la tournée à la mise en scène géniale propre à ringardiser tout ce qui se faisait avant dans le genre, pas facile d’enchaîner. Sauf si la vie vous donne un coup de main. Un coup de pied plutôt car c’est incontestablement dans sa rupture, dans les nouveaux chemins empreintés par sa vie que Ben Mazué a trouvé l’inspiration. Treize titres d’une puissance folle dont certains vous arrachent le coeur avec ce subtil mélange qui lui est propre, cette tendresse qui échappe à toute complaisance, fait passer dans un même moment du rire aux larmes pour ne surtout pas verser dans le drame. C’est la vie. C’est celle de son auteur mais encore une fois, chacun peut y retrouver des pans de la sienne. « Rien n’est simple, une chanson ne raconte pas tout mais j’ai voulu que l’ambiance générale échappe à la noirceur, j’ai voulu que le regard sur la rupture reste enjoué. Et comme le dit l’un des morceaux, qu’il n’y ait « ni vainqueur ni vaincu ». »
À l’écoute, on n’échappe quand même pas au pincement au coeur. « Tu m’auras tellement plu », portée par une partition magnifique avec piano et cordes, est un modèle d’explication à destination des enfants de parents divorcés, une déclaration d’amour quand l’amour a délavé ses couleurs, « Nulle part » ou les premiers signaux de la fin, « Providence », « Parents », sublime texte sur la parentalité lorsque les chemins se séparent… Chacun des treize titres de « Paradis » vise juste et fort. Que l’on soit concerné, que l’on ne le soit pas. Ou que l’on n’ait pas eu la force de sauter le pas.
Impossible également de ne pas évoquer les trois duos qui eux aussi marchent sur cette vague de tendresse lumineuse. « Gaffe aux autres », une version revisitée du titre que Jérémy Frérot interprétait sur son album « Matriochka », « Le coeur nous anime » avec Poupie et « Semaine A, Semaine B » avec la jeune Anaïde Rozam, qui s’annonce comme l’un des titres emblématiques de l’album.
Après sa « Femme idéale », Ben Mazué emporte avec la force du sourire mais ses mots ont la puissance du tsunami. Chahuté par la vie mais débout, relevé sans doute et bien décidé à ne pas rester assis à regarder l’amer. Le musicien reçoit les retours enthousiastes qui lui sont dits mais s’il est heureux, c’est d’abord et avant tout « parce qu’il a tout donné ». « Je suis d’une exigence incroyable lorsque j’écris. C’est usant pour moi comme pour ceux qui m’accompagnent dans cette aventure. Je ne veux pas qu’il y ait de regrets. Grand Corps Malade m’avait raconté combien il était heureux du succès qui se profilait après les premières séances de « Patients », son film, d’abord et surtout parce que justement « il avait tout donné ». Je suis pareil. C’est pour cette raison aussi que je ne pourrais pas sortir d’albums plus souvent car c’est un moment douloureux que celui de sa création. Aller au bout, le plus loin possible, est épuisant. Je sais ce que je veux mais surtout, ce que je ne veux pas et pour la première fois, j’ai veillé à tout. »
« Paradis » s’écoute avec l’attention que l’on porterait à un ami qui reviendrait nous donner des nouvelles de sa vie, de son amour parti, de ses enfants, de son apprentissage de ce nouveau chemin et de ce qui restera de cet amour passé. Rarement une rupture n’avait cédé la place à des morceaux autant remplis d’amour. Seule la couleur a changé. Mais l’éclat de vie demeure. Vivement que les portes se rouvrent et que la tournée qui suivra (annoncée comme la plus belle de toute sa carrière) permette à Ben Mazué de nous convier dans son « Paradis », forcément encore plus imaginatif que le spectacle précédent.